Metamorphosis

Se déconnecter de nos extensions techniques

Ressentir à nouveau notre âme sauvage

En ce 31 décembre 2020, la Cie Gap The Mind a une façon bien personnelle de débuter cette nouvelle année…
Toujours à la recherche d’images innovantes, esthétiques et sensibles, le tournage nocturne de Metamorphosis depuis la cascade de glace d’Aiguilles dans le Queyras, alimenté par une nouvelle connotée SF de Claudie Gatineau, a débouché sur une performance des plus originales, voire sans précédent.
La danse verticale se réinvente dans cette ambiance surnaturelle. La gestuelle est sublimée par l’environnement.
Le corps s’affranchit de ses prolongements techniques et de toute interface.
Le corps et la matière ne font plus qu’un…
Teaser Metamorphosis (lien vidéo): https://youtu.be/lpeZ61IC3S4

 

Mise en scène / Chorégraphie : Claudie Gatineau

Captation / Montage : Frédéric Guérin

 

RECONNEXION   (C.Gatineau)

Et si tout s’effondrait ?

Du monde supra-connecté à l’effondrement, quel échappatoire pour se connecter au vivant et aux autres espèces ?

 

Il reste la glace.

Dessous sommeillent les traces fossiles de la faune et la flore disparues massivement en quelques années.

Reste aussi ces êtres humains métallisés qui ont fini par survivre, déconnectés de la nature mais ultra-connectés à un réseau global qui les hybride. Tout se déplace très vite: les données, les marchandises, dans un espace sans frontière.

Un de ces spécimens, une femelle, évolue sur la glace en hauteur. Elle semble chercher l’isolement.

Elle a des prolongements froids et métallisés qui lui permettent d’être connectée aux autres créatures de son espèce ainsi qu’à ce réseau supra-organique sans se déplacer. Nous ne le voyons pas mais c’est un grand réseau de machines reliées par des câbles plastiques, des flux électromagnétiques, des fréquences ou des serveurs composés de métaux lourds.

La femelle plante ses extensions dans la glace de temps en temps. Ceci permet de recharger en énergie les machines énergivores alimentées également par des énergies fossiles ou par fission nucléaire.

Elle n’a plus besoin de savoir primaire, de sensorialité, d’humanité, les machines la contrôlent émotivement et psychiquement.

Ses mouvements ne sont pas si fluides et trahissent sa fébrilité et sa carence en sensibilité.

La mort l’attend.

C’est ainsi dans cette espèce. Plus ils cherchent à contrôler la nature et les éléments, plus leurs corps se vide de sensations et plus leurs gestes deviennent mécaniques voire hyperactifs. Leurs cellules meurent ainsi à petit feu en silence.

Certains sont exclus de ce réseau car ils ont choisi de s’en affranchir et garder le rapport vivant à la nature et aux autres.

Cette femelle, en proie à l’angoisse et à la peur de la mort imminente, a probablement fait ce choix comme un dernier sursaut de conscience pour relever le défi de mourir vivante !

Elle se débat, cherche à sectionner ses extension techniques. Elle sait que tout est dans ce faux lien à tout chose, que plus elle s’en sert, plus elle nourrit le supra-organisme, plus il a d’emprise sur elle et plus sa pensée est dirigée.

Son affranchissement ne se fait pas sans douleur ni désintoxication mentale. Elle s’épuise, s’arrête mais persiste jusqu’à se libérer. Son corps se met alors à virevolter, habité par la joie, la poésie et un imaginaire créatif.

Seule dans cet acte, elle a réussi un premier pas mais ne survivra pas si elle reste isolée.

Elle doit se rapprocher d’autres êtres affranchis. Ses ressources seront dorénavant nourries par cette entraide mais également par l’observation d’autres espèces vivantes qui ont survécu aux changements et aux perturbations.

Elle observe, revit l’apprentissage de ses premiers instants au monde, elle revit l’expérience sensorielle, elle revit…

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« Rien ne nous aliène à nous-mêmes et ne nous aliène le monde plus désastreusement que de passer notre vie, désormais presque constamment, en compagnie de ces être faussement intimes, de ces esclaves fantômes que nous faisons entrer dans notre salon d’une main engourdie par le sommeil – car l’alternance du sommeil et de la veille a cédé la place à l’alternance du sommeil et de la radio – pour écouter les émissions au cours desquelles, premiers fragments du monde que nous rencontrons, ils nous parlent, nous regardent, nous chantent des chansons, nous encouragent, nous consolent et, ne nous détendant ou nous stimulant, nous donnent le la d’une journée qui ne sera pas la nôtre. Rien ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer la journée sous l’égide de ces apparents amis : car ensuite, même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous préférons rester en compagnie de nos portable chums, nos copains portatifs, puisque nous ne les ressentons plus comme des ersatz d’hommes mais comme de véritables amis ».

Günther Anders, « L’obsolescence de l’homme », 1956